Audrey vient de quitter le bureau. Elle a éteint la lumière et m'a dit "à demain. On finira ce qui reste. Passe une bonne nuit". La porte se referme sans bruit derrière elle. Je l'entends qui s'éloigne dans l'escalier. Elle fredonne un air de Cabrel.
Elle a bien bossé. Moi aussi j'ai bien bossé, même si c'est un peu con de le dire soi-même, mais j'ai pas fini. Les bureaux sont vides et, à part les bruits de la circulation — ces enragés d'automobilistes — qui montent par la fenêtre ouverte depuis le boulevard, la rédaction est silencieuse et plongée dans le noir. Je reste seul, en tête-à-tête avec le prochain numéro du magazine qui ne veut pas se laisser boucler, le salaud. Une vieille lampe des années 30 éclaire faiblement mon bureau et une tasse de café à peine moins vieux que je continue à siroter malgré tout. Je devrais le réchauffer. Je regarde les bureaux déserts, les papiers laissés en plan en plein milieu d'une phrase. Il plane une odeur de vieux tabac et de... Twix.
En tous cas, cela pourrait ressembler à ça, notre rédaction, si Audrey ne travaillait pas depuis Rennes et moi depuis Paris. Et oui, même si on se voit souvent, on bosse essentiellement par Internet : Skype — et iChat pour le partage du bureau, tellement pratique pour lui montrer ce que je veux tout en modifiant bousillant sa maquette dans InDesign 8) — email, téléphone & Cie. Ce qui n'empêche pas les discussions, les fou rire et même les bavardages les plus futiles, ma grande spécialité (ça et fredonner les génériques de dessin-animés ou parler des films de Ozu et de Wenders tout en mangeant un Twix). Notre petite équipe et nos auteurs sont éparpillés à travers la France, mais pas seulement: on trouve des particules de "Compétence" un peu partout en Europe. J'adore ça. Mais certains soirs, je me dis que ça devait être sympa de travailler comme au temps d'avant. Tous rassemblés dans une même pièce, avec du papier, des ciseaux et le bruit des machines à écrire qui crépitent (faut vraiment que je revoie All the President's Men et Citizen Kane ou alors Superman ;-))
Bon. Nostalgie du XXème siècle ou pas, Internet ou pas, il me reste un magazine à finir. Je vous laisse ;-)